A 57 ans, un Corse s'est fait SDF à Lyon. Volontairement, "pour mieux connaître cette vie-là." Plongeon dans un monde parallèle, où le mot lendemain n'a pas de sens.
23/01/96 : Pendant deux mois et demi, André Prandus a vécu comme SDF, dans les rues de Lyon, errant de foyers en squatts. Un choix délibéré. "Je voulais voir par moi-même ce qu'est la vie d'un SDF.", explique ce Corse de 57 ans, artisan-maçon de son état.
Trois jours après son retour dans son village de Calenzana en Haute-Corse, André n'a pas encore retrouvé ses marques. "Je sens un grand vide en moi. J'ai beaucoup de choses à raconter à ma femme, à mes enfants. Mais, il me faut du temps." La première nuit, il n'a pas réussi à dormir : "le lit était trop doux."
André est arrivé à Lyon le 4 novembre dernier, avec cinq francs en poche et une barbe toute neuve, qu'il s'était laissée pousser pour se constituer un nouveau personnage. "J'ai choisi cette ville car je n'y connaissais personne et parce que le climat y était plus rude que sur le littoral méditerranéen".
André avait informé sa famille de son projet. Il était entendu qu'il ne leur donnerait aucune nouvelle. "Je leur ai téléphoné juste une fois, le soir de Noël, pour les rassurer sur mon sort." Par sécurité, André avait aussi pris contact avec un journaliste du "Progrés" de Lyon. Régulièrement, il glissait dans une boite aux lettres du journal un message que le journaliste conservait sans l'ouvrir.
"Coco"
Jusqu'au 18 janvier, André n'a plus été que "Coco", un clochard errant. Pour survivre, il a fait la manche, vendu un journal de rue, "Faim de siècle", mangé aux "Restos du coeur", dormi dans la rue, dans des foyers. Il a connu le froid, la faim, la saleté, les puces, les bagarres entre SDF, "quotidiennes, toujours pour un rien, seulement pour se prouver qu'on existe encore." Il a rencontré des pauvres hères paumés, croisé des destins tragiques, discuté avec des bénévoles.
Une expérience éprouvante.
"Au bout de quelques temps, j'étais devenu comme eux. J'étais un SDF, je n'étais même plus sûr d'avoir la force de revenir un jour chez moi. Je me sentais pris au piège." Un piège dont il est impossible de sortir sans aide extérieure. "On vous fait manger, prendre une douche,... Ca permet de survivre. Mais, il manque le contact avec des gens extérieurs au monde des SDF. On vit dans un monde parallèle, où le mot "lendemain" n'a pas de sens. Il y a les anciens SDF qui maintenant travaillent dans des foyers. Ils ont un petit travail, ils boivent moins, mangent mieux, sont en meilleure santé. Mais, pour moi, ils ne s'en sont pas encore complètement sorti. Ils vivent toujours dans le milieu SDF".
"Coco" est redevenu André Prandus dimanche dernier. Il a rasé sa barbe, retrouvé sa femme et ses enfants Murielle, 26 ans et Jérome, 30 ans. Mais il est encore un peu dans les rues de Lyon, avec Guy, son compagnon de squatt de 38 ans. "Je vais tout faire pour l'aider à s'en sortir. Il a beaucoup de volonté. Il a seulement besoin d'une aide extérieure pour échapper enfin au cercle vicieux de la misère."
Nathalie PERRIER